On ne pourra plus consommer de poissons en 2048 ?
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Une pêche sans limite, vers un effondrement des stocks ?
Selon une étude du WWF, si rien n’est fait pour contrecarrer le phénomène de la surpêche, d’ici 2048, tous les stocks de poissons pourraient s’effondrer. Un changement irréversible à moins de changer drastiquement l’exploitation que l’on fait de la faune océanique. Quelles seraient les conséquences de cette catastrophe écologique, mais aussi climatique, et comment cela se manifesterait dans notre quotidien ?
La disparition des poissons, ou en tout cas de certains poissons, n’est malheureusement pas le scénario d’un film catastrophe, mais une triste réalité ! La surpêche est un long processus qui s’est propagé à travers le monde. Le Prince Albert Ier de Monaco s’inquiétait déjà en 1921 des ravages des premiers chalutiers à vapeur le long des côtes européennes et craignait que des milliers de pêcheurs ne se retrouvent sans emploi. Le biologiste Daniel Pauly, l’un des plus grands spécialistes mondiaux des pêches, à qui nous avons d’ailleurs décerné en novembre 2016 la Grande Médaille Albert Ier, a montré comment la pêche s’est intensifiée à travers le monde au-delà du raisonnable.
À partir du milieu des années 1980, les quantités pêchées dans le monde se sont mises à décliner légèrement, alors même que l’effort de pêche continuait à croître rapidement. Nous appelons ce problème le « peak fish » : plus d’efforts et moins de poissons.
C’est un désastre écologique, mais aussi humain, car la pêche nourrit ou fait vivre des centaines de millions de personnes à travers le monde, et ce sont les plus fragiles qui pâtissent en premier de la raréfaction des poissons, tandis que, jusqu’ici, le phénomène est pour nous presque invisible : des espèces pêchées plus loin, plus profond, apparaissent sur les étals alors que les stocks facilement accessibles déclinent. Là où nous ne voyons qu’une petite augmentation des prix, c’est la survie de millions de personnes qui est en jeu. L’interaction entre océan et climat est un champ d’étude très dynamique. De nombreux travaux visent à quantifier la contribution des poissons au stockage durable du carbone au fond des mers. Inversement, le réchauffement global de la planète diminuera la productivité des eaux tropicales, dont dépendent les populations les plus vulnérables !
Comment les consommateurs pourraient éviter la catastrophe ?
Déjà aujourd’hui, beaucoup de restaurateurs font importer du poisson à travers les continents à cause des difficultés qu’ils ont à trouver des produits de qualité. Outre le désastre écologique que cela implique, est-ce un signe plus concret que la pénurie s’accroît déjà ?
Le poisson est depuis longtemps la principale denrée échangée au niveau international. En France comme en Europe, 70% des produits de la mer sont importés. C’est moins une question de qualité, qui reste très bonne pour les produits locaux, que de quantité : nous consommons toujours plus de produits de la mer, alors que la productivité de l’océan est naturellement limitée… Quand nous n’avons pas nous-mêmes poussé les stocks à l’effondrement.
Au niveau mondial, l’aquaculture a pris le relais d’une pêche en déclin et fournit à peu près autant que la pêche. Mais en Europe, elle reste très limitée à l’exception du saumon norvégien. Nous n’apprécions pas la vue des parcs à poissons le long de nos côtes, alors nous allons chercher ces derniers à l’autre bout du monde !
2048 est une date qui paraît encore lointaine dans l’imaginaire collectif. Comment pourrait-on faire pour sensibiliser plus efficacement à ce phénomène ?
Les scénarios catastrophes très brutaux ont l’avantage superficiel d’attirer l’attention, de marquer les esprits, mais je ne partage pas l’utilisation trop fréquente, et quelquefois caricaturale, de ce procédé.
Nous savons que le catastrophisme ne convainc pas et ne mobilise pas. Il faut passer aux solutions positives, ouvrir des portes, montrer le chemin. C’est pourquoi l’Institut océanographique explique les enjeux généraux de la pêche et oriente rapidement le public vers des conseils pratiques pour agir en consommant mieux.
Des labels existent pour identifier les produits à privilégier, car leur exploitation préserve la ressource et l’environnement. Nous sommes partenaires du WWF, du Marine Stewardship Council (label MSC) et de l’Aquaculture Stewardship Council (label ASC) pour la Semaine de la pêche responsable qui aura lieu fin février, et nous proposerons à cette occasion informations et conseils. D’une manière plus large, évitons les excès. Ce n’est pas propre au poisson qui, à dose modérée, est bon pour la santé et bon pour l’environnement. Le poisson pêché en mer ne consomme pas d’eau douce et émet très peu de CO2, contrairement aux élevages terrestres, bœuf en tête ! Sans forcément aller jusqu’au végétalisme, sachons modérer notre consommation de protéines. Mais puisque l’on parle d’engagement au quotidien, je tiens à souligner que tout n’est pas lié à la pêche.
Si nous voulons que la mer reste vivante et productive, il faut veiller à la qualité de l’eau, supprimer les rejets de déchets plastiques, de produits phytosanitaires qui génèrent des zones mortes…
CETTE SURPÊCHE TOUCHE-T-ELLE TOUTES LES ESPÈCES DE POISSONS ?
Déjà en 2013, 90% des thons rouges du Pacifique capturés étaient trop jeunes pour se reproduire. Quels sont les impacts de la disparition de ce type d’espèces pour la faune locale, notamment en termes de dérégulation de la chaîne alimentaire ? Avez-vous des exemples précis ?
C’est le problème de l’emballement de la pêche : au fil du temps, après avoir prélevé les plus gros spécimens des grandes espèces (thons, mais aussi espadons pour citer un problème urgent en Méditerranée), on s’est mis à pêcher le reste. C’est-à-dire d’autres espèces, parfois très lentes à se reproduire, comme les poissons des grands fonds ; des poissons plus jeunes alors qu’ils ne s’étaient même pas encore reproduits, ou alors que pour de nombreuses espèces, ce sont les poissons les plus âgés qui sont les plus féconds.
En mer, les interactions alimentaires sont plus compliquées que les chaînes terrestres. Par exemple, certains grands poissons mangent des méduses, qui à leur tour mangent les larves de ces mêmes poissons.
Quand l’homme déséquilibre l’océan, les méduses peuvent alors durablement dominer une région comme c’est par exemple le cas en Namibie.
Exergue // « Les principes d’une bonne gestion sont simples : des décisions politiques fermes, basées sur la connaissance scientifique, mais aussi crédibles car leur respect est contrôlé. »
Des experts préconisent de prendre des mesures importantes d’ici les deux prochaines années pour limiter ce phénomène. Est-ce seulement réalisable au niveau mondial dans un délai aussi court ? Quelles vont être les principales sources de difficulté ?
La puissance de pêche est telle qu’aujourd’hui, on ne peut plus se passer d’une vraie gestion des pêches qui soit sérieuse et respectée. Les poissons les plus prisés, comme les thons, étant généralement mobiles au-delà des frontières, c’est à l’échelle internationale que les choses se jouent. Tout peut aller très vite.
Le déclin du thon rouge de Méditerranée, au début des années 2000, était spectaculaire, sa gestion était une vraie parodie. S.A.S. le Prince Albert II de Monaco, alerté par la communauté scientifique et le WWF, a lancé l’alarme au niveau politique et, en l’espace de deux ans, une vraie gestion s’est mise en place.
Les signes sont aujourd’hui encourageants car, jusqu’à un certain point, la nature est résiliente et peut retrouver l’équilibre. Les principes d’une bonne gestion sont simples : des décisions politiques fermes, basées sur la connaissance scientifique, mais aussi crédibles car leur respect est contrôlé. Tout ceci nécessite des moyens, scientifiques comme de contrôle, mais nous ne pouvons clairement plus nous en passer.
Pendant plusieurs siècles, l’océan a semblé inaltérable et inépuisable au regard d’une exploitation limitée. Cela a largement justifié une certaine liberté d’exploiter la mer. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Contrôler pour mieux préserver les écosystèmes marins ?
Comment pourrait-on faire pour développer des moyens plus viables de pêche ? Qu’est-ce qui se fait déjà ?
Je parlais de la connaissance scientifique. Depuis quelques décennies, elle permet de déterminer des limites à la pêche. Ces fameux quotas, lorsqu’ils sont respectés, permettent aux stocks de se reconstituer, comme par exemple dans les eaux européennes de l’Atlantique.
Les quotas n’existent pas pour ennuyer les pêcheurs, mais bien pour protéger la ressource qui les fait vivre.
La prochaine étape est d’avoir une véritable approche écosystémique, qui intègre la pêche accessoire (à savoir la pêche d’animaux non directement ciblés) pour préserver l’écosystème dans son ensemble : adapter les techniques de pêche pour éviter de prendre des tortues ou des dauphins avec les thons, contrôler les quantités pêchées pour laisser suffisamment de poissons pour les oiseaux de mer… Tout cela peut sembler bien raffiné mais encore une fois, nous exerçons une telle pression sur la planète que nous ne pouvons plus rien laisser au hasard.
Pour réfléchir aux nouvelles formes de gestion durable de l’océan et de ses ressources, S.A.S. le Prince Albert II a lancé en 2010 la Monaco Blue Initiative. Cette plateforme réunit chaque année les plus grands experts internationaux pour échanger sur les différentes menaces et leurs interactions – de la surpêche à l’acidification des océans ou aux pollutions diverses – ainsi que sur les solutions techniques, juridiques et politiques pour y répondre, à travers, par exemple, la mise en place d’aires marines protégées, ou la pêche et l’aquaculture durables.